Vu la quantité d'interviews des auteurs repris dans des ouvrages ou sites Internet (voir ci-dessous), j'ai essayé de trouver quelques questions peut-être plus personnelles ou plus en rapport avec ce site.

Vous trouverez ci-dessous les réponses de Frank...

 

 

  1. Quelle a été ta réaction première lorsque je t'ai proposé de créer ce site Internet consacré à Zoo ?
F : Ravi. Parce que je ne sous-estime pas l'importance du net dans l'échange des idées et de l'information mais que je suis incapable de faire cela moi-même, pour des raisons de temps et de compétences ! Tu es donc arrivé, cher Marc, à point nommé. A toi d'assurer maintenant ...

 

 
  1. Que penses-tu des sites BD et d'Internet en général par rapport à la BD ?
F : Je ne suis pas un grand explorateur du net - toujours par manque de temps - et je reste tout de même plus attaché au papier qu'attiré par l'écran. Mais je trouve que découvrir un bon site sur une série qu'on aime bien c'est un grand moment, un moment de nourriture, de plaisir et de secret espoir : enfin découvrir TOUT ce que l'on désire connaître à propos des auteurs, de l'élaboration des albums, des images inconnues, etc...  Hé, Marc, à toi d'assurer, hein... !

 

 
  1. Le sujet étant souvent débattu ces temps-ci, quel est ton point de vue concernant les festivals BD, les séances de dédicaces et ceux qui font commerce de ces dédicaces personnalisées ?
F : C'est un très vaste sujet et il mériterait des dossiers entiers. C'est un sujet vivant aussi, en pleine évolution. Ma position, en quelques mots :

1) La dédicace est un plaisir que l'auteur offre à un lecteur qui a un lien particulier avec son oeuvre. Comme l'auteur l'offre gratuitement, c'est surtout un plaisir pour lui : le plaisir précieux de donner (nous, pauvres dessinateurs, c'est souvent ce qu'on peut donner de mieux ! ) Mais cela veut aussi dire que le lecteur n'a rien à attendre, à exiger ou à reprocher à l'auteur !   

2) Je fais très peu de séances de dédicaces mais quand j'en fais, quatre ou cinq par an, c'est totalement : ce sont pour moi de vraies séances de dessin et souvent j'en profite pour tester une technique, dessiner des nouveaux animaux, etc... De cette manière je ne me lasse pas et passe de très bons moments.   

3)  Si des gens font commerce de dédicaces que les auteurs leur ont faites pour eux personnellement, donnant beaucoup plus de temps et d'énergie que le public ne peut l'imaginer, c'est qu'ils n'ont pas compris ce qu'il se passe à une séance. Ils croient être plus malins en vendant des dessins à d'autres, mais c'est eux-même qu'ils pénalisent en faisant quelque chose de faux. La dédicace est un don personnel. Hélas, tout, dans ce monde hyper-marchand et passablement cynique, veut nous le faire oublier. C'est ainsi et c'est dommage.   

4)  Je pense que les dédicaces bon-enfant que nous connaissons actuellement vont se diversifier et se structurer en séances de signatures et de dessins simples comme en littérature ou en séances payantes pour des dessins plus élaborés, ce qui est normal : c'est notre travail qui est en jeu. Demande-t-on à un ténor de chanter la Traviata pour soi tout seul ? Non. On lui demande sa signature ou alors on le paie pour faire un concert. Et cela n'empêchera jamais les auteurs d'offrir une super-belle dédic en couleurs et pleine page à une pépette qui passe, parce qu'elle a de beaux yeux, hein ! Ou à un gars parce qu'il est très sympa, allez !
 

 
  1. On a pu constater une évolution dans ton dessin depuis le premier Broussaille jusqu'au dernier album où tu le fais "vieillir" mais également dans le passage de ce style "humoristique" à un style franchement réaliste dans Zoo. Etait-ce un besoin de ta part à ce moment et vers quel style aimerais-tu maintenant t'orienter ?
F : Le style de Broussaille a évolué parce que j'ai essayé de faire coller le dessin aux scénarios. Au départ, mes influences étaient humoristiques mais la série ne prétend pas uniquement faire rire.  Il fallait donc tirer le style vers un langage plus approprié. Ce problème d'hiatus de style m'a toujours un peu gêné dans le Spirou de Franquin, par exemple alors qu'il est beaucoup moins fort dans Gil Jourdan ou dans Tintin.
Le passage à Zoo est évident : pour raconter l'histoire d'une femme qui perd son âme, il vaut mieux disposer d'un dessin réaliste, qui peut "s'intérioriser" quand il faut, et utiliser toutes les subtilités de la lumière.
Après Zoo, je ne sais pas encore. Sans doute irai-je vers un dépouillement, plus de simplicité...j'adore Baudouin...
 
 
  1. Estimes-tu être arrivé à un point de stabilisation dans ta création ou poursuis-tu encore des formations dans des domaines précis et lesquels ?
F : L'Univers change sans arrêt et si je voulais stabiliser quoi que ce soit, je serais mal barré. Actuellement, je prends beaucoup de plaisir à faire des croquis d'animaux d'après nature à l'aquarelle (mais qu'est-ce que c'est difficile !). J'ai fait des tonnes de croquis de nus aussi.  Et je pratique de plus en plus la sculpture, en suivant des cours trois soirs par semaine, entre-autre...
 
 
  1. Dans quelles conditions d'environnement travailles-tu ? Aimes-tu travailler en musique ? Quel genre de musique ? Est-ce important pour toi ou alors préfères-tu le calme absolu ?
F : J'ai besoin d'être confortablement installé pour travailler. Le calme est indispensable pour la concentration. Ou alors je récupère l'énergie ambiante, comme lors des séances de dédicaces. Il m'est arrivé une fois d'encrer des planches (les 10 dernières planches de Zoo 1) en public au Japon.
Mais là-bas, on est plus proche de l'esprit Zen !
Chez moi, pour le découpage et la mise en place, ça se fait en silence; pour le crayonné et l'encrage, plus techniques et parfois fastidieux, la musique est parfois bienvenue. Et, selon l'énergie requise, ça va de la musique d'ambiance au rock. Je suis très éclectique. En vrac : Pat Metheny, Gérard Manset, Peter Gabriel, Nusrat Fateh Ali Khan, Robert Wyatt, Arvo Pärt, John Surman, Joni Mitchell, Jeff Buckley, Jean-Sébastien Bach , etc...
J'écoute aussi beaucoup la radio. Je suis un fan du Jeu du dictionnaire et de la semaine infernale
(°).

(°) ndr : émissions de jeu à la TV et radio belges)

 
  1. Si on peut retrouver une part de toi en Broussaille au travers de certaines idées ou par tes souvenirs de voyage, y a-t-il de pareils liens avec les personnages de Zoo ?
    Graphiquement, t'es-tu inspiré de personnages connus et/ou familiers ou bien est-ce de la création pure ?
F : Non. Les liens sont différents avec les personnages de Zoo. Je me projette bien sûr en eux pour les animer mais il s'agit plus de composition, comme on dit chez les acteurs.
Célestin a été inspiré par un mélange des traits de Albert Schweitzer et de Alfred Stieglitz, un pionnier de la photo du début du siècle.
Buggy est assez proche de son modèle, le fameux sculpteur animalier Rembrand Bugatti, le frère du constructeur de voitures.
Anna n'a pas de modèle et est venue après de très très longues et pénibles recherches.
Manon est née très vite au bout du crayon. Pas de modèle. (Hélas !)
 
  1. On sait que Bonifay et toi avez travaillé en commun sur cette histoire mais hormis ton envie de voir l'action se situer dans un zoo, quelles idées avez-vous chacun amenées pour l'histoire, les personnages, l'époque,... ?
F : Impossible de démêler ça. Entre Boni et moi, c'est du ping-pong permanent. En gros, on peut tout de même dire que tous les dialogues sont de lui et que le découpage me revient. Mais pour le reste ...
 
  1. Je suppose qu'en tant qu'auteur, tu as ta propre vision de cette histoire.
    Comment réagis-tu face aux personnes qui n'ont pas la même vision, qui voient les personnages différemment, qui imaginent son évolution dans une direction à laquelle tu n'aurais pas pensé,...?
F : Je suis curieux et amusé devant l'imagination des lecteurs qui galope lorsqu'ils nous racontent comment l'histoire va évoluer ou se terminer selon eux. Il y a de bonnes idées mais qui sont rarement ce que nous comptons faire.
Je peux parfois être irrité par contre lorsque des lecteurs ont lu l'histoire en diagonale et font des critiques peu sensées. Mais je comprends tout de même que certains n'ont pas accroché ou n'ont pas pu entrer dans l'histoire.  C'est vrai qu'elle demande un certain état d'esprit et ce n'est pas toujours facile .
 
  1. Inutile de nier que Zoo est une série attachante, ne penses-tu pas que tu auras du mal à te "débarrasser" de ces personnages vu que contrairement à Broussaille, où tu peux retrouver ton personnage et le faire évoluer, ici aucune suite n'est prévue.
F : Où serons-nous quand Zoo sera terminé ?
Peut-être que les Etats Unis d'Amérique seront sous la domination de la Chine ? Peut-être que le pôle nord aura fondu ? Peut-être que Walt Disney sera dégelé ? Alors les personnages de Zoo...
Bon, c'est sûr que ce ne sera pas facile de les laisser partir. Mais je pense que cela se fera en douceur, vu qu'après un album, les commandes de dessins de toutes sortes permettent de "revenir" sur une histoire. Et des images comme ça, je pense que j'en ferai pendant un certain temps, même sans commande pour publication.
Et puis il y a ce projet (accepté) d'album ZOO 4, dans la collection Aire Libre de Dupuis, qui réunira toutes les images réalisées en marge de l'histoire. Et plus que probablement du matériel fait spécialement pour ce bouquin !
 
  1. As-tu une bonne connaissance du lectorat de Zoo et comment as-tu vécu le succès peut-être pas instantané mais grandissant de la série ?
F : On n'a jamais une bonne connaissance d'un lectorat ! D'ailleurs, à y penser, même mon frère je ne suis pas sûr d'avoir une bonne connaissance de lui ! Ce que je peux dire des lecteurs de Zoo, c'est qu'il nous renvoient par lettre, par mail, de vive voix, des choses qui vont droit au coeur, de celles qui nous confirment que nous avons bien fait finalement de nous lancer un jour sur ce très long et ardu chemin. La qualité de ce retour est passé bien devant, pour moi, la satisfaction d'un chiffre de vente qui, par ailleurs, n'est pas décevant pour une histoire plutôt difficile comme Zoo.
 
  1. Après l'aventure de Zoo, aurais-tu envie de retravailler avec Bonifay et pourquoi, car c'est quand même une collaboration d'une durée exceptionnelle pour une seule histoire ?
F : Aucune idée, comment ce sera, l'après Zoo ! Terminons d'abord ce troisième tome et nous verrons. Je ne veux plus me mettre trop de projets en tête, trop longtemps à l'avance. Ca bouffe de l'énergie, tous ces trucs en mémoire ! Vive le présent !
 
  1. Quels sont tes "modèles", tes exemples, anciens et nouveaux dans la BD et que penses-tu du phénomène BD aujourd'hui ?
F : Je reste un accro de Baudouin. Il ouvre plein de portes dans ma cervelle !
Franquin reste pour moi un modèle de dessinateur mettant des qualités de coeur avant les autres. Quelle chaleur il dégage !
Pour le reste, je vois de plus en plus combien chaque auteur apporte ses qualités propres, son univers, sa manière personnelle d'aborder la vie. Quelle richesse!
Depuis quelques années, je suis assez stupéfait par la montée des productions dites marginales et des petits éditeurs de BD. Même si je suis cela d'assez loin, je trouve qu'il se passe là une flambée d'exploration, d'audaces, de réflexions que j'appelais vivement il y a quelques temps, quand je constatais le chemin étroit emprunté par la BD commerciale européenne, contrairement à la vitalité des mangas au Japon par exemple. Maintenant, en Europe aussi, on a une constellation de talents qui donnera - qui donne déjà - un renouveau de ce moyen d'expression. Chouette !
 
  1. En tant que cinéphile, je rêverais de voir Zoo adapté au cinéma.
    Penses-tu que ce serait envisageable (et adaptable) et aimes-tu cette idée, voudrais-tu participer à un tel projet ?
F : Boni et moi avons plusieurs fois abordé le sujet. On aimait bien l'idée que Milos Forman, le réalisateur d'"Amadeus", mettrait en scène notre Zoo. Pour sa sensibilité aux personnages, pour sa chaleur, pour son intelligence et sa force.
Mais comment Zoo pourrait-il être porté à l'écran ? Il faut de gros moyens tout de même. Donc pas une production française (ou belge !). Et Zoo adapté par les américain, je n'ose pas imaginer le carnage que ça ferait. Anna à Hollywood !
Ou alors un Américain indépendant, un auteur. Si vous avez des suggestions... Pour les comédiens aussi, c'est rigolo d'imaginer. Boni s'est déjà réservé le rôle de Buggy pour lui-même...
Par ailleurs, des copains qui travaillent dans le dessin animé long métrage m'ont dit qu'un jour ils feraient Zoo en animation. Ce serait fantastique, mais je ne les crois pas trop, ils doivent dire ça pour me faire plaisir !
 
  1. La série Broussaille continue, le prochain album est en chantier, mais après Zoo, dans quelle direction aimerais-tu te diriger ? As-tu déjà des projets, des envies ou attends-tu la fin de l'aventure pour te poser ces questions ?
F : J'ai très envie de faire des albums de Broussaille en continuité. Plein de sujets sont sur la table, Bom travaille déjà dessus. Je vais développer la sculpture également... Et puis on verra !
 
Merci d'avoir bien voulu répondre à ces quelques questions...

© 2001 Frank & MG, interview faite en février 2001

 

 

Autres références

  Interview sur BDparadisio : http://www.bdparadisio.com/zoo.htm 

  Dossiers de presse Zoo 1 (1994) et Zoo 2 (1999), éditions Dupuis (Aire Libre)

 

 

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